SOUVENIRS DE LA MEMOIRE COLLECTIVE
Vrais ou légendaires, proches ou lointains, ce sont des événements liés tout spécialement à un coin du terroir.
De caractère généralement dramatique, ils ont frappé suffisamment leurs contemporains pour avoir été repris
dans la tradition orale et transmis de génération en génération.
Les mystères du monde souterrain
Comme la plupart des contrées à rochers calcaires, les environs de Cassagne possèdent plusieurs cavernes
ou abris naturels : soit, dans la vallée du Laouin, les grottes de Marsoulas, du Tarté et de la Téoule, sous les escarpements
de l'Arroucaou, le trou de la Crambo, enfin dans les bois de Montaoudech, la Tuto de l'homme mort.
La grotte de Marsoulas, célèbre par ses vestiges préhistoriques, passe aussi d'après une vieille tradition populaire pour avoir
été la demeure d'êtres mystérieux appelés « Eras hados », d'où son ancien nom de « Tuto
deras hados » (antre des fées).
Les Hados étaient des personnages d'apparence humaine, mais ils
présentaient la curieuse particularité d'avoir les pieds palmés. Difficilement visibles car ils sortaient seulement la
nuit, ils connaissaient tous les secrets de la nature et possédaient des pouvoirs de magie. A ce titre, ils étaient tous spécialement
craints et respectés.
Pour attirer leurs faveurs, les habitants des alentours apportaient
quelques fois des offrandes en nourriture à l'entrée de la grotte, mais nul ne se serait risqué à l'intérieur
par peur de déranger les occupants et de subir leurs sortilèges. Cette croyance était si vivace qu'en 1884, lorsque le célèbre
archéologue ariégeois David Cau-Durban se proposa d'entreprendre des fouilles dans la caverne il se heurta à l'opposition du propriétaire
qui ne voulait pas risquer de mécontenter ses inquiétants locataires.
Il y eut cependant un homme du Tarté, plus intrépide que les autres, qui résolut d'aller lui-même voir les Hados
de plus près. Il se cacha, une nuit, dans les buissons, aux abords de la grotte et après une longue attente il vit sortir une fillette
accompagnée de sa mère. Dès qu'elles passèrent près de lui, il saisit prestement l'enfant et l'entraîna
en courant avec lui vers le Tarté.
Dans sa fuite, il entendait les cris de la mère, laquelle s'apercevant
qu'elle ne pourrait le rattraper, lança à l'adresse de sa fille une dernière recommandation « Cau cap que digues poude dera houeillo
bet bern » (Surtout, ne dévoile pas le secret de la feuille de l'aulne). Intrigué par cette phrase,
l'homme, à peine arrivé chez lui, barricada portes et fenêtres, puis se mit à interroger la fillette sur le secret de la feuille
de l'aulne. Mais, alors qu'elle était sur le point de répondre, un coup de vent violent fit ouvrir une fenêtre avec fracas en
éteignant les chandelles. La fillette bondit aussitôt vers cette ouverture, et après l'avoir franchie sans difficulté,
s'échappa dans la nuit noire.
Quelques jours plus tard, un incendie inexplicable consumait entièrement
la maison de son trop curieux ravisseur : simple coïncidence ou vengeance des habitants de la grotte ? On ne le saura jamais, mais il
est certain par contre que depuis lors, personne n'a plus cherché à rencontrer les Hados, ni à percer leur secret.
Le prêtre proscrit
Très différente de la « Tuto deras Hados », étroite et profonde, la « Tuto »
de l'homme mort n'est qu'une simple cavité creusée au milieu des bois de Montaoudech à quelques centaines de mètres
du vieux chemin de Furne.
En partie comblée aujourd'hui par des effondrements de terre,
elle dut être autrefois sommairement aménagée et peut être même porter un toit.
Au cours des siècles, elle servit d'abri de fortune à des vagabonds, des fugitifs de toutes catégories et des bandits
de grands chemins, mais on ne connaîtra jamais l'identité du riche inconnu qu'on y trouva un jour assassiné et d'où
elle tire son appellation actuelle.
* L'un de ses derniers occupants fut, à la fin du XVIIIème siècle, un nommé
François Saleich. C'était un prêtre réfractaire, refusant de se conformer aux lois
révolutionnaires sur le clergé, donc suspect et recherché par la police.
Il s'était réfugié dans sa famille qui habitait la dernière maison à gauche avant la descente de chemin
de la Caraou, quand un soir, les gendarmes vinrent frapper à sa porte pour l'arrêter. Prévenu quelques instants auparavant,
il avait eu le temps de sauter par une petite fenêtre de la façade arrière et, s'échappant vers le Lens il alla se dissimuler
à la « Tuto » de l'homme mort. Il y resta quelques jours et ses proches lui amenaient régulièrement de la
nourriture, mais ayant appris que la police avait connaissance de sa cachette, il décida de partir pour se réfugier en Espagne.
Marchant la nuit, se cachant le jour, il arriva par les sentiers de montagne dans la haute vallée de l'Ariège où il
fut pris dans une violente tempête et perdit son chemin. Il dut son salut à une petite lumière qu'il aperçut au
loin et vers laquelle il se dirigea. C'était un de ces parcs clôturés de barrières de bois où l'on enfermait
les moutons pendant la nuit pour les protéger des attaques des loups. La petite lumière était précisément
la lanterne destinée à tenir les fauves à distance. Le berger n'était pas loin, c'était le Maire de la Commune
d'Illier. Il réconforta le fugitif et le recueillit chez lui.
Mais le sort n'était décidément par favorable à
François Saleich et un soir qu'il était assis auprès du feu, occupé à tailler un bâton de berger dont
une extrémité recourbée sert à crocheter les pattes des moutons, les gendarmes entrèrent pour s'informer
de son identité.
Ce fut le Maire qui répondit à sa place en le faisant passer pour un nouveau domestique un peu demeuré.
Les gendarmes se retirèrent apparemment satisfaits de la réponse, mais le lendemain ils firent savoir au Maire qu'ils n'étaient
pas dupes, car à ses mains fines et à son couteau à manche de nacre, ils avaient bien vu que le suspect n'était pas
un domestique de ferme.
Dès lors, celui-ci dut se résoudre avec l'aide des gens
du village à repartir et à franchir la frontière espagnole au-delà de laquelle il trouva un asile plus sûr.
Quelques années plus tard, les poursuites contre les prêtres réfractaires ayant été levées, François
Saleich revint à Cassagne, mais en reconnaissance pour les habitants d'Illier qui l'avaient si bien accueilli, il voulut être curé
de cette Commune. C'est là qu'il mourut vers le milieu du siècle dernier.
On prétend qu'après sa mort il réalisa des miracles et sa tombe, dans l'Église, y est vénérée
comme celle d'un Saint.
L'embuscade des mongols
Au nord de la commune, non loin du confluent du Lens et du Salat, la route départementale 62 de Cassagne à Boussens croise
celle qui conduit de Mazères à Belbèze sous le numéro 26.
Ce site très logiquement nommé « les quatre chemins » passait autrefois pour être un rendez-vous de «
Poudouères » (des sorcières) qui s'y réunissaient autrefois notamment les nuits de pleine lune.
Après la tombée du jour, on évitait d'y passer ou on accélérait l'allure par crainte d'y faire de mauvaises
rencontres.
Cette fâcheuse réputation fut hélas tragiquement justifiée dans la nuit du 15 Août 1944, au cours de
laquelle une unité de Mongols (prisonniers russes d'origine asiatique réincorporés dans l'armée allemande) s'opposa
à un groupe de résistants du maquis de Belbèze.
Ces derniers descendaient de la direction de Furne à bord d'un
camion pour effectuer des sabotages sur les voies ferrées empruntées par les convois allemands.
Inversement, les Mongols venant de Boussens avaient pour mission de les intercepter. La rencontre fatale se produisit aux « Quatre
chemins ».
Au niveau du dernier virage de la descente le camion des maquisards fut pris brutalement sous un feu nourri ; il s'immobilisa
presque aussitôt, pneus crevés, sur la route de Cassagne pendant que ses occupants sautaient en catastrophe sur le bas-côté
et se dispersaient dans la nature.
L'engagement avait fait deux blessés graves parmi les maquisards
: le chef du groupe et l'un de ses compagnons. Le premier atteint par des éclats de grenade put être rapidement éloigné
de l'embuscade et caché dans un sous-bois, sous la surveillance d'un de ses hommes. On le retrouva dans la journée et il survécut
à ses blessures.
Par contre, le préposé à sa garde avait complètement
disparu. On sut plus tard qu'il avait été capturé par les Mongols, puis hélas fusillé près de Boussens.
Quand aux deuxième blessé, Paul Bersheid de Cazères, il avait également été fait prisonnier et devait
mourir faute de soins, à la scierie de Péricole (Bouque-de-Lens) où on l'avait transporté. Malgré l'ordre
formel des occupants de l'ensevelir sur place, il fut enterré le lendemain à Cassagne dans une atmosphère de grande
ferveur patriotique qui annonçait déjà celle de la Libération.
En effet, moins d'une semaine plus tard, les troupes allemandes évacuaient définitivement le pays. Dans leur départ
précipité, elles oublièrent deux soldats du détachement Mongol responsable de l'embuscade. Dernière
péripétie d'un sinueux itinéraire parti d'Asie Centrale, ces hommes échouèrent
à Cassagne et comme si le destin avait voulu rétablir un cruel équilibre entre les adversaires, ils allèrent
finalement se livrer, du côté du Santet, aux compagnons d'armes de leurs deux récentes victimes.
Le trésor perdu
Non loin du pont de la Caraou, sur la rive droite du Lens, se dresse un mamelon boisé aux versants abrupts : c'est la petite motte
du Riou, sœur jumelle de la grande motte du Casteras, située à gauche de la Place du Village.
Ces deux éminences, dues à la main de l'homme, auraient fait partie d'un même système de défense chargé
de protéger la région contre d'éventuels envahisseurs. Elles étaient, dit-on, reliées par un souterrain qui descendait
au niveau du bois du Barry et passait sous le Lens. Si l'on en juge par les débris d'armes que le passage des charrues a fait apparaître
sur ses abords, la motte de Riou a sans doute été le témoin de rencontres belliqueuses. On évoque volontiers les Sarrasins
qui ravageaient le pays et se seraient heurtés là à la Résistance d'une troupe chrétienne chargée de
lui interdire l'accès à la vallée du Lens.
La tradition populaire rapporte qu'à l'occasion d'un affrontement
particulièrement violent, les derniers défenseurs du Casteras assiégés et sur le point d'être capturés,
s'échappèrent précipitamment vers la Motte par le souterrain secret.
Dans leur fuite, ils parvinrent néanmoins à
emporter un fabuleux trésor, soit la fortune des Seigneurs du lieu et une grande quantité de monnaies ou d'objets d'or, que les habitants
les plus riches de la région avaient entassés dans le camp retranché. Ils les entreposèrent provisoirement dans
une cachette creusée à l'intérieur de la Motte du Riou, mais revenus sur les lieux, quelques temps plus tard pour reprendre
possession du précieux dépôt, ils ne purent retrouver l'entrée du souterrain et leurs recherches ultérieures
demeurèrent tout aussi vaines.
Beaucoup d'autres, après eux, s'employèrent également
à découvrir l'ouverture qui les conduirait jusqu'aux profondeurs du mystérieux monticule mais en pure perte. Le trésor
du Casteras dort toujours sous des mètres cubes de terre au cœur de la Motte du Riou.
Cependant, dit la légende, il reste encore un objet de convoitise
pour ceux qui, dans des circonstances tragiques l'ont sauvé du pillage et mis en sûreté.
On raconte, en effet qu'au-delà de la mort, leurs fantômes viennent toujours rôder entre les deux mottes à la recherche
d'un improbable accès souterrain oublié, si bien que les soirs de grand vent, lorsque l'ombre des arbres bouge sous la lune, il
n'est pas impossible d'entrevoir un cortège de silhouettes humaines glissant silencieusement sur les sentiers du Barry. Nul doute qu'il
s'agit des derniers possesseurs du trésor perdu poursuivant inlassablement leurs recherches à travers le temps.
Les cloches englouties
Si les rivières pouvaient se parler, les eaux du Lens auraient depuis longtemps sans doute murmuré jusqu'au
Salat la légende du trésor perdu et elles auraient pu entendre en retour l'histoire des cloches d'Arias.
On raconte, en effet, qu'au temps de la Révolution, les cloches de bronze de la chapelle St Vincent à Salies, furent démontées
et chargées sur des radeaux pour être expédiées à Toulouse où elles devaient être fondues et
transformées en canons.
Les autorités administratives avaient dépêché à cet effet une équipe de
militaires chargée d'assurer l'embarquement et le transport. On était en hiver, le Salat grossi
par les pluies, charriait dans ses flots boueux des branches, des troncs d'arbres et toutes sortes d'épaves arrachées à
ses berges.
En dépit de l'avis des vieux bateliers du pays, conseillant d'attendre que le courant soit apaisé pour entreprendre le
transport, les radeaux lourdement chargés furent mis à l'eau et disparurent rapidement en direction de Mazères.
On les vit passer à l'Arroucaou où ils vinrent heurter les rochers de la rive et manquèrent de perdre leur chargement,
ils continuèrent néanmoins à descendre la rivière, ballottés par un courant impétueux. Il arrivèrent
ainsi en aval de Bouque-de-Lens au niveau des escarpements d'Arias. A cet endroit, le Salat accélère son cours puis vient
buter sur de hautes falaises au pied desquelles il a creusé un gouffre profond. C'est là que se produisit le drame.
Les radeaux, difficilement manœuvrables, furent pris dans un énorme tourbillon et projetés avec violence sur les rochers de la rive
droite. Sous l'effet du choc, ils se brisèrent en multiples morceaux et furent aussitôt aspirés dans le gigantesque entonnoir
formé par le mouvement des eaux.
Ceci se passait un soir du 24 décembre. On ne retrouva jamais
trace de l'équipage, ni de son chargement. Pourtant, même s'il n'a pas restitué d'indices du naufrage, le Salat en rappelle
toujours le souvenir : on prétend, en effet, que chaque année à la date d'anniversaire de leur disparition, les cloches de
St Vincent, prisonnières du gouffre, s'animent à nouveau pendant quelques instants. C'est pourquoi, la nuit de Noël, entre
Bouque-de-Lens et Roquefort, on distingue parfois, mêlés aux bruits de la rivière, les sons d'un carillon étrange
et lointain. Irréelle, comme si elle venait d'un autre monde, c'est la voix des cloches englouties fidèlement répercutées
par les falaises d'Arias, dans un écho qui n'en finit pas de mourir.